le coeur de l'arbre
le coeur de l'âtre
le coeur du foyer
le choeur
pour réchauffer le non-hiver, pour réchauffer la glace qui étreint les coeurs, le coeur du corps, le coeur de l'âme, la glace sur laquelle nul ne glisse,
pour panser les plaies du coeur, celui du corps, celui de l'âme, du miel pour tenir chaud,
pour ranger les tempêtes, les TOC, la rage, la tristesse, la douleur dans le tiroir d'une commode à la peau douce, taillée dans le coeur du bois de ronce,
nous nous sommes données rendez-vous au coeur de la maison, dans le soleil de midi, en fond les mésanges sifflotent le faux printemps . je dis, elle fait . sept oeufs or brillent dans le soleil du faux hiver . J'ai hâte d'être toute seule un midi, dit-elle, je me ferais une omelette, une bonne omelette, parce que désormais, je suis la reine des omelettes.
nous partageons, serrés autour du bar, la belle omelette jaune bouton d'or qu'elle nous a fabriqué, c'est un morceau de joie que nous dévorons.
nous nous sommes donnés rendez-vous au coeur de la maison, la nuit tombait plus lentement qu'à l'ordinaire. nous avons allumé des bougies, de minuscules étoiles, poudrant de braises le coeur de la maison, et serrés sur le canapé, nous avons partagé des brioches parfumées à l'hiver qui avaient pris le temps de pousser dans le coeur de la maison .
nous nous sommes donnés rendez-vous au coeur de la maison, la nuit était noire d'encre, la maison scintillait de braises sans doute magiques, et nous avons plongé à huit mains dans le rituel de la fabrication des gnocchis .
les gnocchis de mémé de Paris qui était née en Vénétie, avait vécue dans les Dolomites, avait fabriqué de la dentelle au kilomètre en Suisse Allemande deux ans de son adolescence, avait servi des espresso dans un café de Milan et couru pour attraper à temps son tramway, était tombé amoureuse en Vénétie, était devenue métayère dans un village perdu du Périgord pour suivre son amoureux, avait entendu des quolibets, des mots qui pourraient faire mal - macaroni, lapine, ... -mais qui glissaient parce qu'elle était fière pendant que les femmes du village courbaient l'échine, parce qu'elle avait des cheveux noirs, épais et brillants jusqu'à la taille pendant que les femmes du village coupaient les leurs , parce qu'elle était élégante comme à Milan pendant que les femmes du village marchaient les pieds dans des sabots de bois , parce qu'elle avait trois enfants et décidait qu'il n'y en aurait pas d'autres pendant que les femmes du village en avait dix ; mémé de Paris qui finalement s'était fait des amies de ces femmes, qui avait le coeur sur la main et la générosité en couronne,; mémé de Paris qui avait tenu la ferme de main de maître même quand la mort lui avait ravi son amoureux, qui avait rejoint sa fille cadette à Paris, qui était devenue parisienne de coeur, qui avait vécu à Paris comme à Milan, plus intensément qu'à Milan, qui était toujours italienne mais de Paris, Paris, Paris , qui faisait des allers-retours le week end pour apporter un Paris-Brest à ses petits-enfants, ceux qui vivaient en Picardie, qui cuisinait dans sa minuscule cuisine du 19e arrondissement des sauces tomates divines, des frites croquantes et généreuses, des crostollis, de la sauce de veau, de la polenta, et des gnocchis ; mémé de Paris avec qui j'ai passé des heures à façonner des gnocchis. Même quand elle a finalement quitté son Paris pour retourner en Périgord. Même quand l'été était trop chaud et qu'il n'y avait rien à faire, la pâte restait collante, nous façonnions des gnocchis . et c'était doux comme sa peau.
A huit mains, blottis dans le coeur de la maison, comme autour d'un âtre très ancien, solide, indestructible, nous avons façonné des gnocchis en choeur, nous avons ri, nous les avons pochés, nous les avons arrosés de beurre fondu parfumé au romarin et de parmesan râpé et nous les avons mangés.
Et c'était doux.